pouchkine dame de pique, FRANCUSKI, KSIAZKI
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Alexandre Pouchkine
LA DAME DE PIQUE
Traduit du russe par Prosper Mérimée
(1834)
Table des matières
II ............................................................................................... 8
III............................................................................................. 17
IV ............................................................................................ 25
V.............................................................................................. 30
VI ............................................................................................ 33
Conclusion.............................................................................. 38
À propos de cette édition électronique .................................. 39
I
On jouait chez Naroumof, lieutenant aux gardes à cheval. Une
longue nuit d’hiver s’était écoulée sans que personne s’en aperçût,
et il était cinq heures du matin quand on servit le souper. Les
gagnants se mirent à table avec grand appétit ; pour les autres, ils
regardaient leurs assiettes vides. Peu à peu néanmoins, le vin de
Champagne aidant, la conversation s’anima et devint générale.
« Qu’as-tu fait aujourd’hui, Sourine ? demanda le maître de la
maison à un de ses camarades.
– Comme toujours, j’ai perdu. En vérité, je n’ai pas de chance.
Je joue la
mirandole ;
vous savez si j’ai du sang-froid. Je suis un
ponte impassible, jamais je ne change mon jeu, et je perds
toujours !
– Comment ! Dans toute ta soirée, tu n’as pas essayé une fois
de mettre sur le rouge ? En vérité ta fermeté me passe.
– Comment trouvez-vous Hermann ? dit un des convives en
montrant un jeune officier du génie. De sa vie, ce garçon là n’a
fait un paroli
ni touché une carte, et il nous regarde jouer jusqu’à
cinq heures du matin.
– Le jeu m’intéresse, dit Hermann, mais je ne suis pas
d’humeur à risquer le nécessaire pour gagner le superflu.
– Hermann est Allemand ; il est économe, voilà tout, s’écria
Tomski ; mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est ma grand-mère,
la comtesse Anna Fedotovna.
– Pourquoi cela ? lui demandèrent ses amis.
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Doubler la mise.
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– N’avez-vous pas remarqué, reprit Tomski, qu’elle ne joue
jamais ?
– En effet, dit Naroumof, une femme de quatre-vingts ans qui
ne ponte pas, cela est extraordinaire.
– Vous ne savez pas le pourquoi ?
– Non. Est-ce qu’il y a une raison ?
– Oh ! bien, écoutez. Vous saurez que ma grand-mère, il y a
quelque soixante ans, alla à Paris et y fit fureur. On courait après
elle pour voir la
Vénus moscovite
Richelieu lui fit la cour, et ma
grand-mère prétend qu’il s’en fallut peu qu’elle ne l’obligeât par
ses rigueurs à se brûler la cervelle. Dans ce temps-là, les femmes
jouaient au pharaon. Un soir, au jeu de la cour, elle perdit sur
parole, contre le duc d’Orléans, une somme très considérable.
Rentrée chez elle, ma grand-mère ôta ses mouches, défit ses
paniers, et dans ce costume tragique alla conter sa mésaventure à
mon grand-père, en lui demandant de l’argent pour s’acquitter.
Feu mon grand-père était une espèce d’intendant pour sa femme.
Il la craignait comme le feu, mais le chiffre qu’on lui avoua le fit
sauter au plancher ; il s’emporta, se mit à faire ses comptes, et
prouva à ma grand-mère qu’en six mois elle avait dépensé un
demi-million. Il lui dit nettement qu’il n’avait pas à Paris ses
villages des gouvernements de Moskou et de Saratef, et conclut en
refusant les subsides demandés. Vous imaginez bien la fureur de
ma grand-mère. Elle lui donna un soufflet et fit lit à part cette
nuit-là en témoignage de son indignation. Le lendemain elle
revint à la charge. Pour la première fois de sa vie elle voulut bien
condescendre à des raisonnements et des explications. C’est en
vain qu’elle s’efforça de démontrer à son mari qu’il y a dettes et
dettes, et qu’il n’y a pas d’apparence d’en user avec un prince
comme avec un carrossier. Toute cette éloquence fut en pure
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Les mots ou expressions en italique et suivis d’un astérisque
sont en français dans le texte.
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perte, mon grand-père était inflexible. Ma grand-mère ne savait
que devenir. Heureusement, elle connaissait un homme fort
célèbre à cette époque. Vous avez entendu parler du comte de
Saint-Germain, dont on débite tant de merveilles. Vous savez
qu’il se donnait pour une manière de Juif errant, possesseur de
l’élixir de vie et de la pierre philosophale. Quelques-uns se
moquaient de lui comme d’un charlatan. Casanova, dans ses
Mémoires,
dit qu’il était espion. Quoi qu’il en soit, malgré le
mystère de sa vie, Saint-Germain était recherché par la bonne
compagnie et était vraiment un homme aimable. Encore
aujourd’hui ma grand-mère a conservé pour lui une affection très
vive, et elle se fâche tout rouge quand on n’en parle pas avec
respect. Elle pensa qu’il pourrait lui avancer la somme dont elle
avait besoin, et lui écrivit un billet pour le prier de passer chez
elle. Le vieux thaumaturge accourut aussitôt et la trouva plongée
dans le désespoir. En deux mots, elle le mit au fait, lui raconta son
malheur et la cruauté de son mari, ajoutant qu’elle n’avait plus
d’espoir que dans son amitié et son obligeance. Saint-Germain,
après quelques instants de réflexion :
“Madame, dit-il, je pourrais facilement vous avancer l’argent
qu’il vous faut ; mais je sais que vous n’auriez de repos qu’après
me l’avoir remboursé, et je ne veux pas que vous sortiez d’un
embarras pour vous jeter dans un autre. Il y a un moyen de vous
acquitter. Il faut que vous regagniez cet argent…
– Mais, mon cher comte, répondit ma grand-mère, je vous l’ai
déjà dit, je n’ai plus une pistole…
– Vous n’en avez pas besoin, reprit Saint-Germain : écoutez-
moi seulement.” Alors il lui apprit un secret que chacun de vous,
j’en suis sûr, payerait fort cher. »
Tous les jeunes officiers étaient attentifs. Tomski s’arrêta
pour allumer une pipe, avala une bouffée de tabac et continua de
la sorte :
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